Des bobines et des hommes

Charlotte Pouch

  • 2017
  • 1h07

À l’usine textile Bel Maille de Roanne, qui a servi de décor à La Fille du patron, comédie sociale sur une entreprise menacée, la réalité rattrape la fiction : la société est placée en redressement judiciaire et son patron reçoit de possibles repreneurs. Il leur tient comme aux autres un seul discours – un mantra : «Préserver la pérennité d’un savoir-faire dans son ancrage local»… Six mois durant, Charlotte Pouch filme les réunions et surtout l’atelier aux machines belles et complexes dont les bobines multicolores ont tricoté des tissus innovants. Elle parvient à circonscrire un lieu vivant, à l’atmosphère familiale, certains des ouvriers ayant effectué toute leur carrière chez Bel Maille. À la fois à l’image et au son, elle enregistre au cours du feuilleton judiciaire une baisse de régime de plus en plus manifeste : les bobines et les hommes ralentissent jusqu’à un point d’attente insoutenable, la super-secrétaire se résout à bouquiner faute de commandes à traiter, le repreneur potentiel propose un plan flou…

Par-delà la double allusion textile et cinématographique de «bobines», le titre porte l’écho de Des souris et des hommes de John Steinbeck : la qualité des échanges et la façon de filmer les lieux traduisent une profonde admiration pour cette humanité lucide et combative. La réalisatrice a eu pour viatique une citation de La Condition ouvrière de Simone Weil : «Maintenant, c’est comme ceci que je sens la question sociale : une usine, cela doit être [] un endroit où on se heurte durement, douloureusement, mais quand même joyeusement à la vraie vie.» (Charlotte Garson)