Que ta joie demeure

Denis Côté

  • 2014
  • 1h10

Exploration libre des énergies et des rituels trouvés sur des lieux de travail divers. D’un ouvrier à l’autre, d’une machine à la prochaine ; de ces mains, ces visages, ces pauses, ces efforts… Que peut-on établir comme dialogue absurde et abstrait entre l’Homme et son besoin de travailler? Que valent ces instants où l’Homme multiplie et répète des gestes qui devraient logiquement le mener vers un repos dont la qualité reste impossible à définir.

Ce film-essai aussi envoûtant qu’énigmatique aborde «le» sujet privilégié du cinéma documentaire : le travail manuel, la satisfaction ou l’aliénation des gestes répétés et de l’interaction avec la machine. Pourtant, rien de moins transitif que le cinéma de Denis Côté. Des plans majestueux, splendidement cadrés et éclairés, alternent ensemble et détail dans la première partie, avant l’introduction d’acteurs dans un deuxième temps. Que ta joie demeure construit un rythme qui défie celui des cadences ouvrières, et met en scène des paroles qui, dans leur théâtralité explicite, rompent l’habituel silence associé au labeur industriel. Déroutant nos sens et notre recherche de sens, le film se laisse aussi traverser furtivement par différents genres fictionnels : son proche de la science-fiction au générique, pans de romanesque dans l’esquisse de personnages, propos dignes d’un griot délivrés à la pause, ombre portée de Métropolis, frisson d’horreur devant la prière d’un ouvrier à sa machine pour conjurer perte d’un doigt, d’une main En ces plans véritablement habités, la teneur sacrée du choral de Bach rejoint l’écriture à la fois imagée et abstraite du Giono de Que ma joie demeure pour tisser une forme si rare aujourd’hui qu’elle en devient incongrue : une allégorie. (Charlotte Garson).